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Quais du Polar
21 mars 2024
Parmi les moments forts de cette édition de Quais du Polar 2024 on compte la présentation du Polar à 4 mains “Le Steve McQueen”, de Tim Willocks et Caryl Férey, entre Manchester et Lyon. Rencontre.
Comment vous définissez-vous en 3 mots ?
Caryl Férey : Rock, pas sérieux, à fond impliqué.
Tim Willocks : Heureux, aventureux et vivant.
Pouvez-vous nous raconter un souvenir d'enfance ?
Caryl : Ma rage (intacte) quand à 6 ans, le dernier guépard endémique d'Asie a été tué par un braconnier.
Tim : En mai 1968, alors qu'en France les étudiants barricadaient le Quartier latin, mes camarades de classe catholiques âgés de dix ans et moi-même avons été conduits sous la pluie sous les menaces et les insultes de notre commissaire du Vatican, Sœur Dominique, qui se déplaçait avec une queue de billard marron foncé qu'elle ne quittait que rarement. Chacun de nous a reçu un petit drapeau du Royaume-Uni, fait de papier collé sur un bâton, comme ceux que l'on plante dans les châteaux de sable. Bien que nous l'ignorions, l'opération Springclean* venait d'être lancée dans notre région. Pour rallier les classes défavorisées du Nord à cette grande croisade, la Reine Elizabeth II en personne venait en ville.
(*"Grand nettoyage de printemps" : vaste opération de ramassage de déchets sauvages lancée en Grande-Bretagne à partir de 1967)
Nous sommes restés sous la pluie pendant quatre-vingt-dix minutes, certains faisant pipi dans leur pantalon parce qu'ils n'avaient pas osé demander la permission d'aller derrière un arbre, nos chaussures se désintégrant en même temps que nos drapeaux, tandis que Sœur Dominique patrouillait le long de la ligne avec un œil de vautour pour repérer les agités, les incontinents et tous ceux qui osaient ouvrir la bouche. Enfin, une clameur lointaine, rappelant celle de ceux qui se sont vu refuser une place dans un canot de sauvetage sur le Titanic, s'est fait entendre de l'autre côté de la route. C'est la voix du peuple, ou du moins des personnes âgées et des chômeurs, qui exprime sa dévotion. Puis : "SA MAJESTÉ EST LÀ !"
Avec un dernier regard venimeux, Sœur Dominique nous a crié de sourire et d'applaudir, la première et dernière fois qu'elle nous encourageait à faire l'un ou l'autre, et a caché la queue de billard sous son imperméable noir. Alors que nous lancions un "Hurrah !" vacillant contre le vent et que les restes saturés de nos Union Jacks voltigeaient dans les flaques d'eau à nos pieds, une énorme et rugissante masse métallique bordeaux brillante nous a dépassés en trombe, projetant des averses d'eau sale depuis les nids-de-poule de la route. Puis elle a disparu. Quelque peu désorientés, nous avons continué à applaudir à tout rompre jusqu'à ce que l'ordre soit hurlé : "SILENCE !" Notre devoir patriotique était accompli. Nous avions rampé devant les puissants. Peter's Primary School, Stalybridge, l'adorait, même si elle avait déjà oublié l'existence de notre ville. Comme l'annonçait fièrement le journal local le lendemain, "Notre chaleur l'a emporté sur la pluie".
Nous n'étions pas en mesure de l'emporter sur quoi que ce soit. La queue de billard était de nouveau de sortie. "RAMASSEZ CES DRAPEAUX, SALES PETITS DIABLES !".
Une histoire vraie. Si jamais vous finissez en enfer, vous pourrez demander à Sœur Dominique.
Qu'est-ce qui vous a amené vers le roman noir ?
Caryl : "Le grand nulle part" de Ellroy, parce qu'on pouvait tout mettre dans un polar.
Tim : Une jeunesse mal employée à lire Mickey Spillane, Jim Thompson et Richard Stark (le commentaire de ma mère sur ses livres, n'en ayant jamais lu un, était : "Tu ne devrais pas lire cette saleté", et à regarder les films de Burt Lancaster et de Robert Mitchum. Dans le roman noir, j'aime le sentiment de fatalité, d'obsession et de défaite. Pour une raison ou une autre, je trouve cela très réconfortant, peut-être parce que le héros du roman noir accepte l'échec avec courage et dignité. Nous échouons tous, sans cesse. Jean-Pierre Melville était le maître de cette philosophie. Mon seul vrai roman noir est Bad City Blues, bien que Margot dans La Mort selon Turner soit une héroïne de roman noir.
Que saviez-vous de Lyon au moment d'écrire "Le Steve McQueen" ?
Caryl : Le festival Quais du Polar, c'est tout ce que j'en connais !
Tim : Je suis allé trois fois à Quais du Polar et j'adore Lyon, en particulier le magnifique musée des Beaux-Arts. Le Steve McQueen ne m'a demandé que d'amener mon protagoniste à Lyon depuis Manchester, ce qui était essentiel, car pourquoi quelqu'un de sensé voudrait-il aller à Manchester depuis Lyon ? Sauf, peut-être, pour assister à un match de football.
Comment fait-on pour écrire un roman à 4 mains ?
Caryl : On organise le chaos avec Tim Willocks.
Tim : Nous avons décidé d'inventer l'histoire complètement folle, avec autant d'humour macabre que possible, et en incluant plusieurs sous-genres de polars différents, une sorte de festin de thèmes criminels. Gangsters, enlèvements, casses, meurtres, poursuites, trahison, corruption, tromperie, romance et action. Les idées fusent par courrier électronique. Caryl n'a aucune crainte en tant qu'écrivain, ce qui m'a beaucoup aidé à ne pas être trop prudent. C'était comme courir sur une corde raide tout en tirant des coups de feu et en buvant du Bourbon. Le livre devrait être deux fois plus long, mais je pense que cela le rend deux fois plus intense.
Quel est votre livre de chevet en ce moment ?
Caryl : Les poésies de Pasolini.
Tim : Je suis en train de lire Hitler de Volker Ulrich (vol 2), une œuvre formidable et fascinante, et The World At Night d'Alan Furst, le meilleur de tous les romanciers d'espionnage, et bien plus encore.