Richard Robert : « En 2021, je rêve de continuité »
Cinquième volet d’une série de rencontres avec des acteurs du monde culturel confinés… et inspirés. Richard Robert, directeur de l'Opéra Underground, répond à nos questions et évoque les retrouvailles avec le public, espérées à la mi-janvier.
Pouvez-vous nous présenter le projet « Opéra Underground » ?
L’Opéra Underground c’est un lieu, au cœur de l’Opéra de Lyon qui est comme un petit laboratoire. Moi, j’appelle ça un « laboratoire amoureux » parce qu’on est à la fois dans la recherche, dans l’expérimentation et aussi dans le désir d’attiser la curiosité du public. C’est à la fois une programmation dans l’Amphi de l’Opéra, un petit lieu de 200 places, à la fois intime et très ouvert dans sa programmation. On peut y accueillir plein de choses différentes : concerts, séances de cinéma, danse, conférences, rencontres, etc. Et puis il y aussi le Festival du Péristyle qui se déroule l’été à l’extérieur sous les arcades, qui est un rendez-vous gratuit avec plein de propositions musicales très variées. Et enfin, l’Opéra Underground s’illustre aussi ponctuellement dans la grande salle de l’Opéra, avec des « concerts événements », des créations. L’idée de l’Opéra Underground, c’est d’amener cette force de création à l’intérieur de l’Opéra, en travaillant d’ailleurs avec toutes les ressources internes de cette maison, le Ballet, la Maîtrise, l’Orchestre, etc.
Si vous deviez définir l'année 2020 en trois mots…
Ca pourrait être : « Peut mieux faire ». Ce sont les premiers mots qui me viennent… Au-delà de cette boutade, une image me vient plutôt avec cette année très spéciale, face à ce phénomène inconnu qui nous a tous frappé : j’ai le sentiment qu’on a été poussés dans nos retranchements. D’abord parce qu’économiquement, socialement, humainement, la situation a pu être très dure ; est toujours très dure pour beaucoup. Et puis, on a de fait été poussés par nécessité, par obligation, à se retrancher, à se confiner chez soi. Avec tout ce que cela peut représenter de difficultés ou de souffrances. Et puis en même temps, c’est un peu difficile de le dire aujourd’hui, car on est encore dans un climat très délabré, mais il y a peut-être une face un peu plus lumineuse à cette image-là, dans les métiers qui nous occupent, dans la culture, dans l’art : étant poussés dans nos retranchements, on se retrouve à retourner à la source même de ce qui nous a amené ici. Je pense que l’on s’est beaucoup posé la question, parmi les acteurs du milieu culturel : « D’où je suis parti pour en arriver là ? Pourquoi j’ai fait ce choix d’être dans ces métiers-là » ?
Dans ce contexte d’urgence sanitaire, quel est le rôle de la culture selon vous ?
Je ne sais pas s'il faut donner des rôles à la culture, il y en a un, en tous cas, que je ne lui donnerai pas, c'est celui de sauver le monde… Cela ne fait pas partie de mes croyances, et puis, quand on voit ce qu'a été le 20ème siècle, un siècle merveilleux en terme de création, d'ébullition artistique et culturelle et en même temps l'un des siècles les plus tragiques et les plus meurtriers de l'histoire, je me dis que il ne faut surtout pas donner ce rôle-là à la culture. Il faut peut-être lui donner un rôle plus modeste et en même temps essentiel, qui est, je pense, de continuer vaille que vaille, à imaginer, à rêver, de créer de nouvelles formes, à transmettre du sensible, des idées. C'est le travail qu'on continue de faire d’ailleurs, un peu clandestinement, en ce moment et depuis quelques mois. Ce n'est pas très visible. C'est un travail un peu souterrain, un peu underground, justement. Mais là, j'ai encore passé ces dernières heures à imaginer plein de choses avec des artistes, avec des collègues, avec tous les acteurs de ce milieu. Le devoir qu'on a, c'est celui-là : c’est de continuer la circulation et la transmission des désirs qui nous animent. Je ne sais pas si ça c'est essentiel, si ça sauve le monde, mais je crois quand même que ça aide un peu à tenir et à être tout simplement vivant.
Quelles leçons avez-vous tiré du premier confinement ?
Curieusement, au moment du premier confinement, quand tout ce monde du spectacle a disparu, c'est finalement moins les spectacles qui m'ont manqué que l'idée du lieu commun où on se retrouve. Le "lieu commun » est une expression un peu péjorative dans notre langage courant. C'est la banalité, le poncif. Alors qu'en fait, pour moi, c'est une très belle expression, c'est l'idée que je me fais aussi de l'Opéra Underground et de ces lieux de création et de proposition artistique. Et ça, je trouve qu'il faut qu'on le travaille encore plus avec des propositions de toutes sortes.
A l'heure où on se parle, avez-vous une idée du moment où on pourra retourner à l'Opéra Underground ?
Normalement, on devrait pouvoir reprendre une activité d'accueil du public à la mi-janvier. On est dans cette perspective-là. On sait qu'elle est fragile puisque on s'est projetés plein de fois dans une réouverture qui, finalement, a été repoussée ou n'a pas eu lieu. Mais si on en reste aux annonces actuelles, on ouvrira les portes à la mi-janvier, avec une programmation qui proposera à la fois des concerts, des séances d'écoute de disques, des projections de documentaires, des créations.
Parmi ces spectacles, lequel souhaiteriez-vous mettre en avant ?
La création Sahariennes, parce que c'est un feuilleton qui dure maintenant un peu. Il a déjà été reporté deux fois et c'est une création qui a été initiée par mon prédécesseur Olivier Conan et qu'on continue de porter parce qu'on y tient énormément. C'est une rencontre musicale et une création vraiment ex-nihilo, entre quatre chanteuses issues du monde saharien, une Marocaine, une Algérienne, une Mauritanienne et une artiste originaire du Sahara occidental. On a recalé le projet au 3 juin, dans la grande salle. J'espère qu'on pourra l’aboutir enfin, parce qu'il représente beaucoup de choses pour ce qu'on défend.
Un conseil de lecture pour prendre une grande bouffée d’oxygène ?
Le conseil de lecture que je pourrais donner, c'est un livre que j'ai lu et relu au moment du premier confinement, c’est L'usage du monde de Nicolas Bouvier, cet auteur a disparu à la fin des années 90, si je ne me trompe pas, a été estampillé écrivain voyageur, mais qui est beaucoup plus que ça. L'usage du monde, raconte un parcours qu'il a fait jeune de l'Europe jusqu'à l'Extrême-Orient. Et ce n'est pas seulement un récit de voyage, c'est vraiment un récit presque initiatique où il raconte que finalement, il n'est pas parti sur les routes pour s'enrichir ou pour accumuler tout un tas de choses, mais au contraire pour se défaire, pour faire le ménage, comme il le dit. Je trouve qu’encore une fois, dans le contexte de cette année 2020, faire le ménage, ce n’est pas mal. On peut lire ce livre pour vraiment se dépayser, mais aussi pour découvrir la sorte de philosophie sensible d'un homme qui pensait qu'on s’améliorait à aller se frotter aux autres, aux visages, aux paysages. Et je pense que c'est aussi une bonne morale pour faire les métiers qu'on fait.
De quoi rêvez-vous pour 2021 ?
Pour 2021, je rêve de continuité. Je rêve de reprendre un fil qui ne serait pas en pointillé. C'est très important pour moi parce que je vois vraiment la programmation d'un lieu comme une sorte d'histoire, de récit qu'on construit. Une trame qu’on tisse de manière assez précise. Et justement, en modulant les choses, en mettant un concert ici, puis là une rencontre, et puis là, une séance de cinéma, etc. Et tout ça définit, raconte une histoire. Je pense qu’on ne fait pas qu’empiler des choses. Ce n’est pas juste une saison culturelle où on va empiler, aligner des noms. On raconte quelque chose sur le monde, sur la création ; et le fait de ne pas pouvoir l'inscrire dans la durée est un vrai problème aussi de cette année qui vient de s’écouler.
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Ecouter sur Spotify la playlist Sahariennes, composée en résonance avec la création.