Angélique Clairand et Eric Massé : « Le rôle des artistes, c’est de prendre le pouls du monde ».
Quatrième volet d’une série de rencontres avec des acteurs du monde culturel confinés… et inspirés. Angélique Clairand et Eric Massé, co-directeurs du Théâtre du Point du Jour, racontent ce que leur inspire la période et évoquent le programme du Théâtre en décembre.
Si vous deviez définir l’année 2020 en trois mots ?
Angélique Clairand : Attends-toi à l’inattendu ! C’est l’épigraphe qu’on a choisi cette saison et c’est une phrase d’Edgar Morin. C’est être le plus disponible possible, être en mouvement, être en alerte, être dans l’attention à, être prêt à.
Eric Massé : C’est aussi une incitation à la vigilance, à l’humilité. On ne peut pas tout prévoir. Il y a une part d’imprévu, c’est dans notre ADN, notre humanité.
Angélique Clairand : Le second mot, c’est la contrainte. Pour nous, la contrainte est salvatrice puisque c’est dans la contrainte qu’on trouve la liberté.
Eric Massé : Et puis c’est dans notre capacité à accepter cette contrainte et puis toutes celles qui nous sont imposées actuellement qu’on va arriver à la transcender. On n’a pas besoin de se rassurer à tout prix, mais de réfléchir, d’infléchir les choses ensemble, d’inventer peut être aussi une façon différente de vivre ensemble.
Angélique Clairand : Le troisième mot, c’est résilience.
Dans ce contexte d’urgence sanitaire, quel est le rôle de la culture selon vous ?
Angélique Clairand : On va plutôt parler d’abord du rôle des artistes. Pour nous, c’est de prendre le pouls du monde et de transposer cette matière première, pour en faire des créations qui vont résonner avec aujourd’hui, des projets qui inventent de nouveaux récits.
Eric Massé : Plus largement, c’est dans le rôle de la culture de réinventer des façons de vivre ensemble, de faire société, de réinventer des imaginaires vagabonds, alors que le confinement lui nous sédentarise, nous impose un repli physique.
Quelles leçons avez-vous tiré du premier confinement ?
Eric Massé : Il avait fait résonner en moi une phrase d’Heiner Müller « Pour que quelque chose advienne, il faut que quelque chose meure ».
Angélique Clairand : Et en moi, une phrase de Lao Tseu : « Il est plus intelligent d’allumer une petite lampe que de se plaindre de l’obscurité ».
Quel est le programme de ces prochaines semaines au Théâtre du Point du Jour ?
Angélique Clairand : Alors, on est ravis d’ouvrir de nouveau nos portes en grand avec le spectacle de Yannick Jaulin et Alain Larribet : « Ma langue maternelle va mourir et j’ai du mal à vous parler d’amour », qui va jouer du 15 au 18 décembre, à 19h30, afin que chacun puisse rentrer sereinement chez lui. On parlait de prendre le pouls du monde, il s’avère que le 26 novembre, une loi a été votée largement à l’Assemblée nationale qui reconnaît l’accent comme un critère de discrimination, et Yannick Jaulin évoque avec puissance la honte et le mépris qu’inspirent la transmission des parlers régionaux, dont lui-même a été victime. En gros, « Ma langue maternelle », c’est un plaidoyer contre la glottophobie [ la discrimination liée à la langue, ndr].
Eric Massé : Et c’est aussi un plaidoyer pour que la mondialisation ne rime pas avec l’hégémonie de quelques langues, mais au contraire que ce soit une mondialisation qui se vive à travers la diversité, notre biodiversité.
Angélique Clairand : Et simultanément, pendant cette période de fêtes, on vous propose un parcours au Théâtre du Point du Jour qui s’appelle Théâtratable, c’est un voyage autour du tour du monde au Moyen-Orient, en Asie, en Afrique.
Eric Massé : C'est également trois expériences culinaires puisque on sera autour d'une table avec ces artistes qui présenteront ces projets de février à juin. Alors si vous voulez partager ça avec nous, offrez-vous un bon cadeau !
Un conseil de lecture pour prendre une grande bouffée d’oxygène dans cette période ?
Angélique Clairand : On a le même ! « Croire aux fauves », de Nastassja Martin. C’est une anthropologue, qui part en exploration dans l’extrême orient sibérien, chez les Evènes plus particulièrement, là où se cristallisent les problèmes de notre monde actuel. Lors de cette mission, elle se fait attaquer par un ours, et ce récit, c’est un voyage qu’elle a fait entre les vivants et les morts, à l’âge de 29 ans et dont elle est sortie métamorphosée.
Eric Massé : Elle est animiste et elle voit dans cette confrontation une révélation de l’ours qu’elle a en elle. De façon métaphorique, c’est un texte qui résonne énormément avec notre actualité.
A quoi rêvez-vous pour 2021 ?
Angélique Clairand : Moi, je rêve que la marge devienne la page.
Eric Massé : Il y a une citation de Claude Chalaguier qui dit que « la marge nourrit la norme et la transforme ». Si on arrive au Théâtre du Point du Jour à faire que cela soit une réalité, on sera contents !