Thierry Pilat : "La Halle Tony Garnier va évoluer avec son temps"
1 février 2021
Le nouveau directeur de la Halle Tony Garnier, précédemment directeur de la SMAC le Fil à Saint-Etienne, retrouve Lyon et prend la tête d’un lieu culturel qui en impose. Si la programmation artistique est déjà quasi bouclée jusqu’en 2023, Thierry Pilat porte une vision prometteuse du rôle que pourrait jouer la Halle dans l’espace culturel lyonnais.
Comment vous définissez-vous en 3 mots ?
Thierry Pilat : Alors, me définir en quelques mots… « Optimiste ». Toujours optimiste. « Energique ». J’ai une vraie vitalité en tout cas, que j’ai envie d’exploiter à fond. Un peu « idéaliste » aussi : j’ai des rêves et je me dis que tout est possible. Mais toutes ces qualités peuvent aussi être considérées comme des défauts, car il faut toujours un juste milieu dans les projets, dans les décisions…
Quelles étapes ont joué un rôle essentiel dans votre carrière ?
C’est la carrière d’un passionné de musique déjà. Depuis mon plus jeune âge, j’ai toujours baigné dans un univers musical. Et puis il y a eu deux moments un peu exceptionnels dans ma carrière, car j’ai vécu la création de deux salles de concerts : le Ninkasi Kao en 2000 et Le Fil à Saint-Etienne en 2008. La création de lieux culturels, c’est un peu ma spécialité. Je dis lieu culturel parce que ma passion de la musique s’est ouverte vers les projets culturels. Et l’importance de ces projets dans une société.
Comment envisagez-vous votre rôle de directeur de la Halle Tony Garnier ?
Je pense qu’il y a plusieurs aspects à prendre en considération. Le premier, c’est la Halle telle qu’elle a existé jusqu’à aujourd’hui. C’est-à-dire un lieu de très grande capacité pour accueillir toutes les tournées de variété française et internationale. Le projet, c’est de conserver cette identité-là. Je suis là pour assurer cette continuité. Et puis aussi faire évoluer les choses dans cette période de crise qui remet à plat toutes nos relations sociales, ainsi que la relation entre les artistes et les publics. On a besoin d’une réflexion plus profonde : comment utiliser un lieu comme celui-ci, qui appartient aux Lyonnais, qui fait partie du patrimoine, pour faire évoluer les projets culturels ? On voit bien qu’aujourd’hui il y a un « avant 2020 » et un « après 2020 ». Il faut de nouveaux formats de spectacles, de nouvelles façons de travailler ensemble. C’est ce que j’ai envie de développer ici.
Avez-vous des projets particuliers en tête ?
C’est un peu tôt pour en parler, mais l’idée générale, c’est de voir comment on peut moduler cette salle, qui peut accueillir presque 17 000 spectateurs, pour proposer des formats de soirée différents. Il y a eu sur ces quinze dernières années l’avènement des festivals. Les gens y vont en bande, en groupe ou en famille. Sur un week-end, sur plusieurs jours. Et ils y vont dans un autre état d’esprit qu’un simple concert. Et donc, pour moi la grande question de la Halle, c’est sa modularité. Est-ce qu’on peut moduler le lieu pour en faire plusieurs espaces : un espace scénique, un espace de convivialité, un espace d’exploration culturelle avec des expos ? Comment peut-on utiliser ce lieu pour créer du lien et transformer le public en spectateurs actifs, qui viendraient ici pour découvrir des artistes, des cultures, faire des rencontres, échanger avec d’autres ? Dans un esprit très populaire car ce lieu est tellement grand qu’il ne peut pas être élitiste. La Halle ne peut pas être seulement un "temple de la musique", il y a tellement à faire découvrir dans les domaines de la danse, du cirque, du théâtre ou du cinéma… Et à la base de tout ça, il y a la liberté d’expression des artistes, la liberté de créer, qui est bien mise à mal avec le COVID.
Est-ce un lieu qui peut jouer un rôle dans la vie du quartier ?
C’est vrai que même si la Halle accueille beaucoup de spectacles avec 500 000 spectateurs par an, certains Lyonnais ne l’ont jamais fréquentée. Et donc, il est clair que j’ai envie de l’ouvrir davantage. J’ai fait des propositions en ce sens à la Ville de Lyon. Ce sont des idées en gestation. Dans cette ère post-COVID, les lieux publics et culturels auront un rôle fort à jouer pour recréer du lien. On peut donc tout à fait imaginer que ce lieu soit davantage ouvert sur le quartier mais aussi sur Lyon et l’agglomération. La Halle est un bien public et appartient aux Lyonnais elle doit donc être ouverte à tous.
Quel effet produit l’immensité de ce lieu ?
On se sent petit (rires). Mais moi j’aime beaucoup ce rapport au lieu, cette énorme structure métallique, cette architecture du début du siècle dernier : le lieu impressionne. Et je m’aperçois aussi que c’est un endroit qui laisse place à tous les fantasmes. Il faut juste remettre les choses à leur place dans l’échelle des valeurs : on a l’impression qu’un bâtiment comme celui-ci est immuable. En fait non, il est amené à évoluer et la Halle va donc évoluer avec son temps.
En tant que Lyonnais, avez-vous gardé un souvenir particulier d’ici ?
Peut-être… la seule fois où j’ai vu David Bowie, c’était ici à la Halle. Pour quelqu’un comme moi qui vient du rock et qui a baigné dans la contre-culture pop, c’est marquant. J’ai un souvenir plus lointain aussi, car quand j’étais gamin, on habitait le 8ème arrondissement, et je venais souvent me balader à vélo et on roulait dans les abattoirs qui étaient fermés. Toute cette zone-là jusqu’à Confluence, c’était vraiment une friche. Et pour nous, en tant qu’ado, c’était aussi un vrai terrain d’aventure. A présent le quartier de Gerland a beaucoup évolué et je suis vraiment heureux de participer à cet essor !
Votre souhait pour 2021 ?
Rouvrir les salles. Redonner de l’expression au spectacle vivant. On comprend bien que dans la crise actuelle il n’est pas possible d’accueillir des milliers de spectateurs. Mon souhait pour 2021, c’est que l’état d’esprit change et qu’on n’arrête de dire que la culture n’est pas essentielle. Personne ne comprend cette position : ni les artistes, ni les acteurs culturels, ni le public ! Mon souhait c’est donc que les mentalités avancent et qu’on commence à vivre avec ce virus. Parce qu’en fait, il n’y aura pas de « retour à la normale ». La normale ça sera plus comme avant. On aura un contexte nouveau, avec des jauges réduites, des conditions d’accès différentes… Commençons dès maintenant à préparer, à vivre avec ce virus et à faire vivre la culture.
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