Comment est né le projet ?
L’association Filigrane, qui monte des projets de pratique artistique entre artistes et habitants, m'a proposé de mener une résidence de création partagée à la Guillotière.
Je m’intéresse beaucoup à la façon dont la mémoire s’imprègne dans les lieux. Pour cette résidence, je me suis inspirée de Raymond Hains, un artiste, qui, dans les années 60, collectait sur les murs des affiches déchirées, arrachées… J’ai donc emmené des habitants dans le quartier pour regarder ces morceaux d'affiches superposées. Ici il y a une liberté d’investir l’espace public, on colle, on décolle, on recolle et ça va très vite, c’est très présent. On a pris ce qu’on avait sous la main, pas très loin.
Que faisiez-vous alors ?
On se mettait devant et on essayait d’écrire, de raconter quelles formes, quelles couleurs… elles avaient. On pouvait dire que c’était triste, dégradé ou autre chose. En fait, dès qu’on prête attention à quelque chose, on voit. Et le but était de faire parler ces murs. De ne plus les subir mais être actif, se les approprier, et leur mettre du sens.
Avec qui avez-vous travaillé ?
Avec cinq groupes différents. Un groupe avec l’atelier d’écriture de la Maison pour tous des Rancy et la bibliothèque municipale Duguesclin. Un autre constitué d’étudiants de l’Alliance française aux origines et parcours différents. Un troisième était issu de la Maison des projets, ouvert à tout public. Il y a eu un groupe d’adolescents avec l’association ADOS qui fait de l’accompagnement à la scolarité. Ce travail a fait comprendre aux jeunes que la beauté est dans leurs yeux. J’ai eu aussi des enfants de 8-9 ans inscrits au Centre social Bonnefoi.
Mon travail d’artiste est de leur montrer le beau, d’affûter leurs regards et de faire émerger leur sensibilité. Nous avons passé des moments très joyeux. Cela a bien fonctionné. Il est même arrivé que des habitants m’emmènent voir des affiches en me disant « Celle-là, elle est toute fraîche ! ».
Le résultat ?
Ce sont des textes écrits par les participants. Tout le monde ne sait pas modeler du plâtre mais tout le monde sait utiliser et mettre en valeur les mots. Les textes sont présentés à la Maison des projets dans le cadre de l’exposition photo intitulée Mémoire des murs, faire parler les murs palimpsestes. Les photos sont les miennes, je les ai prises dans le cadre de la résidence.
Morceaux choisis…
« J’ai vu le passage du temps J’ai vu différentes textures superposées J’ai vu la peinture craquer comme une plaie J’ai vu des couleurs changeantes J’ai vu l’histoire se transformer pour raconter d’autres histoires. » Mohammed
« Le mur n’est pas joli : il est sale, il s’effrite Il est rugueux, comme les écailles d’un dragon. Le dragon dans le mur a des écailles qui piquent ! On dirait qu’il a été peint par mon copain Oscar Avec du rouge Et du bleu pour faire le ciel Le dragon vole dans le ciel Ses ailes sont déployées » Jeannot
« Aquarelles de rue nommées au feutre blanc, Quatre silhouettes sont diluées par l’air du temps. Une archive personnelle dévoilée sur le trottoir, Souvenir intime d’un retour au bled, Mémoire floue d’un bonheur partagé. Arc-en-ciel délavé, effet du temps qui passe, Des intempéries qui repassent, Que reste-t-il, frères enlacés, de vos amitiés ? Un instantané qui s’efface. » Françoise, Ghislaine, Jeannine, Claire
« Mur bavard qui te fera rentrer tard Kaléidoscope d'affiches accumulées À le regarder de plus près, On dirait un lieu multiculturel Où des salles se côtoient D'un côté, un rassemblement politique, des causes défendues bruyamment De l'autre, salon feutré, chacun crée quelque chose Nous pouvons mettre des carrés dans des carrés Une succession de rendez-vous Soirée scrapbooking Ou soirée Lutte ouvrière ? (...) » Aurélie, Sylvie, Marie, Maïwenn, Elina, Sophie, Fariba, Céliane