"Se reconstruire une vie avec des gens qui comptent"

Sport

30 janvier 2025

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Isabelle Demongeot

En 2007, la joueuse de tennis Isabelle Demongeot porte plainte contre son entraîneur, Régis de Camaret, pour des viols subis entre 1980 et 1989. Lorsqu'elle prend la parole à cette époque, les faits qu'elles dénoncent sont prescrits pour elle et pour une vingtaine d’autres femmes, mineures au moment des faits. Cependant, elle retrouve deux joueuses pour lesquelles les faits ne sont pas encore prescrits. En 2012, Régis de Camaret est condamné une première fois à 8 ans de prison ferme pour les viols de deux pensionnaires mineures de son club de Saint-Tropez. En appel, deux ans plus tard, il écope cette fois de 10 ans de prison.

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Programme de la soirée du 5 février (Hôtel de ville de Lyon) :
A l’appui d’extraits du téléfilm Service volé, dénonçant les violences sexuelles perpétrées par son entraîneur sur plusieurs victimes, Isabelle Demongeot retrace les étapes de son parcours de combattante, de l’emprise à la prise de parole jusqu’à la libération. Isabelle Demongeot est aujourd'hui chargée de mission intégrité et technique à la Fédération Française de Tennis (FFT) et fondatrice de l’association Bien Jouer.
Cette conférence organisée par la Ville de Lyon est à destination de l’ensemble du mouvement sportif lyonnais, pour vous inscrire, cliquez sur ce lien.

Votre livre Service volé est publié en 2007*. Comment est-il reçu par la société de l'époque ?
Isabelle Demongeot : À sa sortie, le livre a failli être censuré et il faut remercier l'éditeur pour sa ferme volonté à le publier. Ensuite, ça a été très difficile de communiquer et de faire des plateaux télé. Je devais être la 2e sportive à aborder ce sujet dans le domaine du sport, après l'athlète Catherine Moyon de Baecque, et je dérangeais fortement tout ce petit monde. Vu qu'on était en cours de procédure [N.D.R. : en 2007, Régis de Camaret est mis en examen pour "viols et attouchements sexuels sur mineures de quinze ans"], beaucoup de monde attendait le verdict final. À cette époque, peu de personnes sont venues me parler. Quand je sortais dans mon village, les gens détournaient le regard. C'est terrible. Ça a été difficile aussi avec ma fédération. Quand j'arrivais à Roland Garros par exemple, je sentais bien que je n'avais aucun soutien. On n'était pas derrière les victimes.

En 2021, Service volé est adapté pour la télévision. Est-ce qu'à ce moment, le regard de la société sur les violences sexuelles dans le sport a changé ?
Oui. En 2020, tout a changé avec l'affaire de Sarah Abitbol [N.D.R. : en 2020, la patineuse accuse son entraîneur de viol dans un entretien accordé à L'Obs]. La différence entre mon histoire et la sienne, c'est qu'on l'a crue tout de suite. Et tant mieux… Mon livre porte sur ce qu'il s'est passé pendant 20 ans dans ce centre d'entraînement avec toutes les joueuses. Le film est différent : c'est le combat judicaire d'une femme qui est allée chercher d'autres victimes pour faire cesser les agissements d'un homme qui faisait du mal. Après le film, les gens dans la rue exprimaient de l'empathie, de la douceur. J'ai vu un vrai changement. On m'a félicitée pour le combat que je menais. Ce combat c'est comme un match… mais ce match, il a duré longtemps, très longtemps.

Lorsqu'on évoque "la réparation des victimes de violences sexuelles", de quoi parle-t-on exactement ?
La réparation c'est de sensibiliser, de prévenir, d'écrire, de parler, d'avancer avec, de rencontrer des gens qui ont vécu ces violences. Pour moi, la réparation, ce n'est pas de le mettre de côté, c'est de l'affronter. Moi j'ai eu tendance à reproduire ce schéma d'emprise dans ma vie personnelle, parce que je m'étais affaiblie. La réparation c'est reprendre confiance dans votre vie. C'est aussi se reconstruire une vie avec des gens qui comptent. Moi j'ai retrouvé ma famille, pas tout de suite, d'abord on a réglé nos comptes et puis ensuite on s'est retrouvé. Mon père s'est excusé tous les jours à partir du moment où il a lu le livre…

Lorsque vous prenez la parole, comme c'est le cas ce 5 février à Lyon, quels sont vos objectifs ?
J'essaye de faire comprendre ce qu'est cette fameuse "emprise". Pour moi, il y a des dommages collatéraux au niveau de la famille. Cette emprise je l'ai subie mais mes parents sont tombés dedans aussi. Même chose pour mes frères et sœur. À cette époque j'aurais dû dire : "on va faire une thérapie familiale !". Et ça je le conseille fortement aujourd'hui car tout le monde est impacté, il y a de la culpabilité… Lors du procès au palais de justice de Lyon, ma sœur m'a accompagnée pendant les deux procédures. Elle a souhaité participer pour comprendre comment elle n'avait rien pu voir. Mes deux frères ont été complètement absents. L'un totalement, alors que l'autre a seulement assisté aux verdicts.

Quelle question revient le plus souvent lors de ces conférences ?
Il n'y a pas beaucoup de questions car le cerveau prend les informations et, ensuite, il a besoin de temps pour assimiler. La plupart du public est souvent très touché. Certains membres de clubs sportifs évoquent toutefois la difficulté d'amener ce sujet sur la table. Il est souvent mentionné à la fin de l'ordre du jour des réunions mais le "vieux monde" est réticent à l'évoquer. Il y a une génération qui n'a pas trop envie qu'on revienne sur tout ça. La jeune génération, elle, est beaucoup plus concernée et elle comprend que la priorité, c'est de sécuriser l'environnement des enfants.

Quelles sont les missions de l'association Bien Jouer que vous avez fondée ?
Il y a la prévention des violences sexuelles, avec par exemple cette conférence à Lyon. Mais j'ai aussi décidé de ne pas être cantonnée aux violences sexuelles toute ma vie. Je voulais retrouver mon identité d'ancienne joueuse et j'étais passionnée d'enseignement. En somme, je voulais qu'on me rende ma place d'experte en tennis et c’est ce qu’a compris Gilles Moretton à la FFT. Avec Bien Jouer, l'idée est donc de former des enseignants pour qu'ils pratiquent des méthodes bienveillantes. Et d'exclure tous ceux qui sont malveillants, en les signalant. Et il faut que ces signalements soient pris en compte pour sortir ces gens-là du jeu. Avec une psychologue, on a donc construit un programme de conférences sur "l'entraînement bienveillant". C'est savoir pousser son joueur, pour obtenir des résultats sportifs, sans aller dans des extrêmes, sans devenir unique et indispensable.

Aujourd'hui, la pédagogie sur ces questions est-elle mieux partagée ?
Quand je fais les webinaires avec la FFT, j'arrive à parler aux présidents de clubs. Et c'est au président de décider ensuite de sensibiliser son staff ou pas. Et d'avoir une approche envers les jeunes qui viennent jouer au tennis et envers leurs parents. Beaucoup de présidents sont demandeurs de cette démarche de vigilance et souhaitent transmettre cette notion de prévention à l'ensemble des équipes techniques. Je pense que c'est bien d'échanger sur ce sujet car le one-to-one de l'entraîneur avec son joueur, dans le tennis ou ailleurs, il est terrible. Passer 365 jours par an avec son entraîneur, jour et nuit, c'est malsain. Je prône aussi dans les clubs à ce qu'on amène les joueurs à être plus autonomes et à prendre en main leur carrière.

(*) Service volé le livre d’Isabelle Demongeot, augmenté de 5 chapitres et préfacé par Yannick Noah et Boris Cyrulnik, re-sort le 24 février 2025 aux éditions Les Sportives.

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